Loin de moi l'idée de faire de la politique, ce blog, dédié à l'œuvre de Frédéric Dard et à celle de son fils Patrice, n'est pas une tribune politique, mais je tenais à vous faire part de certaines divergences entres élus de la mairie de Paris suite à l'inauguration du Jardin Frédéric Dard.
Pierre-Yves Bournazel, élu de la majorité présidentielle est contre le "baptême" de ce jardin.
Extrait :
Daniel Vaillant explique le choix de Frédéric Dard comme nom du jardin de la rue Norvins : « Joséphine, sa fille, est une amie. 10 ans après la mort de son père, elle souhaitait qu’un lieu porte son nom à Paris. » Ce qu’il y a de choquant ici, c’est la légèreté avec laquelle semblent attribués les noms de rues ou autres lieux publics. Il suffit que des amis du monde médiatique* le lui demandent pour que M. le Maire obtempère. Cette connivence affichée a de quoi dérouter.
Mort il y a 10 ans, l’œuvre de Frédéric Dard mérite-t-elle aujourd’hui un jardin dans Paris ? Est-ce que le commissaire San-Antonio va durablement influencer l’histoire de la littérature ? Quelles valeurs incarne l’auteur ? Personnellement, je n’ai jamais lu d’écrits de Frédéric Dard, mais je constate que même Daniel Vaillant n’est pas très à l’aise pour en parler lors du conseil d’arrondissement.
La meilleure solution aurait été de laisser plus de temps s’écouler entre la mort de Frédéric Dard et la dénomination d’un lieu public en son hommage. On aurait ainsi pu constater si ses romans dépassent les effets de mode et s’inscrivent durablement parmi les chefs-d’œuvres de la littérature. De plus, le Maire aurait évité de donner cette impression désagréable de népotisme…
* Notons que Joséphine Dard est l’épouse de Guy Carlier, chroniqueur sur Europe 1.
Fin de citation.
Bon débattre là-dessus prendrait des heures, et ne servirait à rien, puisque cela serait sans faire avancer le bidule. Le seul et unique conseil que je puisse donner à ce Monsieur, eh bien c'est simplement de lire un ou deux Frédéric DARD, je me demande même si je ne vais pas lui en envoyer un ou deux de dans mes doublons, juste pour qu'il se fasse une idée vraie de qui était Frédéric.
Mais cette prise de bec entre deux élus est très intéressante, elle a permis, par l'intermédiaire du Monde, de savoir combien il est difficile de baptiser une ville dans notre capitale :
On ne s'est pas battu le 16 décembre vers 15 h 30 devant le 24, rue de Norvins, dans le 18e arrondissement. Contrairement à une idée répandue, on se bat rarement pour une question littéraire. Ce jour-là, les huiles de la Mairie de Paris et sa famille inauguraient de concert un jardin Frédéric-Dard dit San-Antonio. Un espace vert pour honorer un maître de la langue verte, c'est fin !
Pratiques, les jardins. Celui où personne ne va jamais car il est au centre de la porte Maillot sera bientôt baptisé du nom d'Alexandre Soljenitsyne, ce qui évitera de modifier le nom de la place, arrangement bienvenu après les vifs échanges en séances entre élus à la seule évocation du nom de l'écrivain russe. Les jardins ne dérangent personne. Ce qui n'est pas le cas des artères. Débaptiser pour rebaptiser promet un imbroglio. Les riverains se révoltent à la perspective d'avoir à changer de papier à lettres, de cartes de visite, d'identité administrative... Même pour un écrivain. Encore que c'est plus rarement le cas qu'on ne le croit, foi de Philippe Lamy. Il est démineur à l'Hôtel de Ville de Paris. Entendez par là qu'en qualité de conseiller au cabinet du maire, chargé notamment de la politique de la mémoire, il prépare ces dossiers-là pour Bertrand Delanoë en les déminant, histoire d'anticiper une explosion impromptue au moment du dévoilement de la plaque. "Cela prend un tour violent dès qu'on touche au conflit du Proche-Orient et à la guerre d'Algérie. La plaque de l'esplanade Ben-Gourion, sur la promenade du quai Branly, est tout le temps taguée, et celle apposée sur le pont Saint-Michel à la mémoire des victimes du 17 octobre 1961, tués par la police ou jetés à la Seine, a été si souvent attaquée à l'acide, brisée à coups de masse ou dérobée qu'elle est désormais en bronze !" Les empoignades furent vives lorsque plusieurs municipalités débaptisèrent leurs rues Alexis-Carrel, l'auteur à succès de L'Homme, cet inconnu ayant été rattrapé par son activisme eugéniste sous l'Occupation.
Le piéton ne soupçonne pas toujours le lobbying à l'œuvre derrière certaines plaques. Quelques groupes sont connus pour ne jamais lâcher la pression. Les partisans de Robespierre par exemple. Ou ceux de Napoléon qui ne se satisferont jamais de la seule rue Bonaparte. Au Conseil de Paris, les communistes sont les plus vigilants pour honorer leur héros. Louis Aragon, qui appartient à l'histoire littéraire, échappe au Parti : il a bien une allée à son nom dans les Halles mais comme elles sont appelées à disparaître, on va lui trouver une petite place dans l'île Saint-Louis. Claude Lévi-Strauss aura bientôt quelque chose à l'ombre des livres de la Bibliothèque nationale de France. Le Nobel de littérature égyptien Naguib Mahfouz aussi, dans le 15e arrondissement, pour le centenaire de sa naissance, à la demande du maire lui-même. Parfois, l'hommage emprunte des chemins de traverse : "Le philosophe Paul Ricoeur aura bientôt sa rue à proximité du boulevard Arago, près de la faculté de théologie : on s'est mis à chercher des protestants lorsqu'on s'est rendu compte de leur faible nombre sur les plaques." Pour les femmes, ce n'est pas gagné : elles ne sont que 4 % sur les murs des rues de Paris...
Le Conseil de Paris a déposé un vœu pour honorer la mémoire de Richard Wright, non le claviériste des Pink Floyd mais l'écrivain américain, auteur culte de Native Son et de Black Boy, naturalisé français en 1947. C'est donc pour bientôt, de même que l'inauguration de l'esplanade Pierre-Vidal-Naquet, qui se fait attendre depuis son ouverture, devant l'université Denis-Diderot-Paris-VII (entrée piétons à l'angle de la rue Marguerite-Duras et de la rue Françoise-Dolto, livraisons par la rue Thomas-Mann...).
Cela ne va pas toujours de soi et l'on comprend que le conseil municipal préfère apposer une plaque commémorative : "En devenant ainsi un lieu de mémoire, cela a plus de sens, on peut expliquer", justifie Philippe Lamy. Toujours le souci de déminer. On peut y voir un effet collatéral du principe de précaution autant qu'une question de conviction. Ainsi le vœu déposé par Christophe Girard, adjoint au maire chargé de la culture, du patrimoine et de la mémoire, en faveur de rues Jean-Genet et Roger-Peyrefitte, a-t-il été retoqué. Bertrand Delanoë a opposé son refus après avoir lu la note défavorable et les dossiers qui lui avaient été préparés par son conseiller, avec moult extraits de textes antisémites ou favorables à l'occupant nazi.
Pour la rue Gaston-Gallimard, cela devrait bien se passer lors de la prochaine séance du Conseil, juste à temps pour l'inauguration, à l'occasion du centenaire de la maison d'édition. La minuscule rue Sébastien-Bottin demeurera l'adresse du seul immeuble d'habitation qui s'y trouve, l'autre partie devenant celle des seules éditions Gallimard, ce qui permettra à son actuel patron de recevoir, tel Hugo dans ses dernières années : "M. Victor Hugo, en son avenue, Paris."
Des archives récemment découvertes à cette occasion dans les cartons de la mairie révèlent qu'en 1930, considérant que la rue Sébastien-Bottin honorait la mémoire d'une maison d'édition rivale (Didot-Bottin, l'annuaire...), ce qui portait préjudice à la NRF, Gaston Gallimard déposa une demande afin que le tout soit rebaptisé "place Marcel-Proust". Mais M. le Géomètre en chef jugea qu'"attribuer à ce tronçon de voie un nom distinct, c'est compliquer la nomenclature des rues de Paris déjà très confuse". Ô Marcel, si tu savais...
On peut voir combien il faut ménager de susceptibilité lors d'un tel hommage, entre ceux qui sont contre, ceux qui voudraient que ce soit un autre, et ceux qui sont pour...
Il faut faire œuvre de diplomatie, et avoir une connaissance de l'histoire, mais le mot de la fin, celui du "jugement" de ce coup d'éclat par un élu en soif de faire parler de lui, c'est Frédéric qui l'aura (merci à Éric Chabanon) citation d'une des aventures du commissaire San-Antonio, Chérie, passe moi tes microbes :
« Il est des gens qui méritent leur gueule, et des rues leur nom.
Peut-être, si tu es friand de Pantruche, oui, peut-être alors, connais-tu l'impasse d'Eden dans le quartier de Vaugirard ?
— Si oui, saute ce paragraphe, mon biquet, il n'est pas pour toi. Sinon, délecte-toi à ma description, je t'attends là.
L'impasse d'Eden, c'est un éden. Je pourrais m'arrêter là et te laisser un grand blanc économique afin de t'inciter à méditer, mais pour inciter mon patron à m'éditer, je te vas brosser un peu l'endroit.
Imagine-toi un grand jardin tout en longueur, coincé entre de hauts immeubles, mais protégé de ceux-ci par de vénérables arbres que j'ai pas fait attention à l'essence desquels, dirait Bérurier, mais que toujours est-il qu'ils sont hauts, frondaiseux, avec de beaux troncs vénérables, noueux, branchus bas. Figure-toi des pelouses mal peignées, avec des bordures de buis qui sentent bon le cimetière en automne. Point trop de fleurs, ou alors des touffes d'iris hirsutes. Et seulement quelques vieilles constructions basses de style Ile-de-France, moussues, décrépites mais nobles. La plupart de ces mélancoliques et si romantiques demeures (on en chialerait, hein ?) sont occupées par des artistes aisés, des sculpteurs surtout. Et c'est l'activité de ces gens qui parachève le côté fantasmagorique de l'impasse d'Eden. Leurs travaux débordent de leurs ateliers, en effet, et autour des maisons, tout un univers de rêve accomplit des gestes immobiles : Vénus aux bras gracieusement arrondis, faunes gambadeurs, amours joufflus, biches égarées, cornes d'abondance débordantes de fleurs et de fruits, chapeau pointu, turlututu, et merde, faut que j'arrête ce remplissage qui va finir par ressembler au catalogue de Manufrance.
Enfin quoi, c'est très chouette, très nostalgique. Ça porte à l'âme, et même au zob, l'autre étant le corollaire de l'une quoi qu'en pensent les poètes malbandeurs qui sont obligés de chercher des rimes dans des dictionnaires.
La maison la plus neuve est aussi la plus vaste. Les fenêtres à grands carreaux Louis Quatorzième ont été remplacées par des baies en verre trop dépoli pour être au net. Dommage, cette construction qui anachronise dans le paysage est démoralisante, car elle te fait piger que tout ça est en instance de disparition, et que d'ici bientôt y aura du bador immeuble en poutrelles d'acier et verre fumé à la place de ce jardin extraordinaire tombé de la chanson de Trenet. »
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