Grâce à l'ami Pierre-André Masson, vous trouverez ci-dessous un article paru en Suisse avec quelques photos inédites.
«MON PÈRE ACCOMPAGNE CHAQUE JOUR DE MA VIE!»
Le 6 juin prochain, cela fera dix ans que le créateur de San-Antonio est décédé. Sa fille publie un livre émouvant et très personnel sur l’écrivain français le plus lu du XXe siècle, qui avait choisi la Suisse comme deuxième patrie. Elle y évoque aussi pour la première fois son enlèvement, à l’âge de 13 ans. Rencontre exclusive dans sa maison, près de Paris.
C’est la première fois qu’elle écrit. La première fois qu’elle s’expose ainsi, passant d’un plateau télé à un autre avec ce beau livre sous le bras. Frédéric Dard, mon père, San-Antonio, un titre comme un cri d’amour.
Le 6 juin 2010, cela fera dix ans que le célèbre écrivain s’en est allé, à l’âge de 78 ans. Sa mort, elle ne l’a jamais acceptée, avertit d’emblée Joséphine Dard en nous servant un café autour de l’immense table de bois aux fleurs de lys qui appartenait à son père.
Nous sommes dans sa maison près de Chantilly, en banlieue parisienne. Celle qu’elle partage avec son mari, Guy Carlier, le célèbre humoriste, et ses trois enfants, Francesca, 15 ans, Federico, 11 ans, et Antoine, 3 ans, le fils de Guy. Ici, tout rappelle la carrière de l’homme qui a vendu 250 millions de bouquins: la collection de San-Antonio dans la bibliothèque, le portrait géant au-dessus du canapé, les affiches de films. Un petit aspect musée sans le côté morbide. Il arrive encore à Joséphine d’acheter des babas au rhum «que personne n’aime à la maison» mais que son père adorait.
«ENTRE DEUX MOTS, IL FAUT CHOISIR LE PIRE!»
Faire le deuil, une expression qu’il faut se garder d’utiliser avec Joséphine. «Putain, qu’elle est con cette expression, faire le deuil», a-t-elle écrit dans son introduction. Deux gros mots qui feront plaisir à celui qu’elle appelle toujours papa, expert ès truculences verbales et calembours. Un homme qui faisait jouer les mots à la marelle et qui écrivait: «Entre deux mots, il faut choisir le pire. Puisque notre destin commun est de finir dans un trou, fasse le ciel qu’il ait du poil autour!» Ou encore: «Si tous les cons volaient, il ferait nuit.»«Aimez-vous. Vous savez, dans notre famille on ne s’est jamais bagarrés pour l’héritage»
Frédéric Dard
Cet homme-là lui a légué son nom, une partie de sa fortune mais avant tout «le sens du clan, la générosité, la méfiance des étiquettes que l’on colle aux gens». Elle nous montre une photo de Frédéric Dard en compagnie de Mgr Mamie, qui traîne encore sur le bureau. «Il ne le voyait pas comme un évêque, mais comme un ami, un homme.»A son côté, sa mère, Françoise, approuve des yeux. Les deux femmes évoquent pour nous les dernières heures de l’écrivain, entouré des siens, dans sa ferme fribourgeoise de Bonnefontaine: «Papa avait refusé de se laisser opérer du cœur pour finir son dernier livre. On lui donnait la main. Un de ses derniers mots fut: «Aimez-vous. Vous savez, dans notre famille on ne s’est jamais bagarrés pour l’héritage.» Pour son livre, Joséphine s’est plongée pendant trois mois jour et nuit dans le passé de ce père adoré, a collecté avec la patience d’une fourmi les photos, les anecdotes, les témoignages, notamment de sa première femme, de ses frères et sœurs, de ses admirateurs, parmi lesquels Antoine de Caunes et Frédéric Beigbeder.
UNE MÈCHE DE CHEVEUX
«J’ai ouvert certains tiroirs de son bureau qu’on n’avait jamais osé encore ouvrir de peur de violer son intimité. J’y ai trouvé une mèche de cheveux que lui avait coupée sa grand-mère, un portemonnaie, une pile de lettres écrites par Simenon.»Une démarche qui lui a permis de se confronter aussi à ce chagrin intarissable. Ainsi, quand elle écrit: «Chaque petit bonheur est un martyre, c’est une torture de ne pas partager avec toi la joie de la médaille de Francesca, un calvaire que tu ne voies pas Kiko marquer des buts à Barcelone, un supplice que tu n’entendes pas Antoine commencer à parler… Antoine te ressemble de plus en plus, il a tes attitudes, tes gestes, j’attends qu’il parle vraiment, j’aimerais tant qu’il ait ta voix, tes expressions.» Sa mère sait la douleur de sa fille: «Elle a beaucoup pleuré en l’écrivant, mais ce livre l’a changée.»
Guy Carlier nous a rejoint autour d’un café. Dans la préface du bouquin, c’est lui qui interpelle joliment ce beau-père qui a tant compté dans sa vie mais qu’il n’a jamais rencontré. Ce beau-père qui a permis la rencontre avec Joséphine, alors qu’il était en cure d’amaigrissement dans une clinique parisienne.
TRAUMATISME DU RAPT
Guy, fou de San-Antonio, le seul homme capable de comprendre l’immense amour qui unit Joséphine à son père, l’écrivain français le plus lu du XXe siècle. «Si on ne connaît pas Joséphine, on peut penser qu’elle est un peu allumée. Mais, rassurez-vous, elle n’est pas dans un trip irrationnel ni du genre à faire tourner les tables. Elle va d’ailleurs peu sur sa tombe. Pour elle, son père est toujours vivant, il continue d’imprégner sa vie!»Autre effet cathartique du livre, la fille de Frédéric évoque pour la première fois son enlèvement en 1983, à l’âge de 13 ans. Elle fut séquestrée pendant cinquante heures par un caméraman de la TV romande qui s’était introduit de nuit dans la maison genevoise de Vandœuvres. L’affaire avait défrayé la chronique judiciaire.
«Je n’ai jamais accepté la mort de mon père»
Joséphine Dard
Un traumatisme qui a poursuivi la jeune femme pendant des années: crises de panique et tétanie, cauchemars récurrents, encore aujourd’hui. «Je panique si je ne vois plus Antoine quand on joue à cache-cache», avouet-elle.Un enlèvement qui avait profondément meurtri Frédéric Dard. Notamment parce qu’au moment du rapt il écrivait justement un polar qui parlait de l’enlèvement d’un enfant. «C’était pour lui comme s’il avait attiré le malheur sur nous», murmure Joséphine. Jérôme Garcin, écrivain et journaliste, souligne dans le livre que Frédéric Dard est «mort mentalement» ce jour-là. A la maison, le sujet était tabou.
«On n’en parlait jamais avec Joséphine, de peur de la blesser, raconte Françoise Dard. Mais elle ne pouvait pas écrire un livre sur son père sans évoquer ce drame. J’ai proposé à ma fille de déjeuner pour en parler. J’ai découvert, stupéfaite, que Joséphine se sentait coupable d’avoir été enlevée, coupable de nous avoir fait souffrir, son père et moi, alors que c’était mon mari qui culpabilisait de n’avoir pas su la protéger!»La jeune femme affirme que le dernier chapitre du livre, qui relate cet enlèvement, l’a libérée.
L’HUMOUR DE KIKO
A son côté, un petit jeune homme de 11 ans qui ressemble étrangement à son grand-père. Pour la première fois, Joséphine a accepté que son fils aîné, Federico, dit Kiko, fils de son premier mari, un aristocrate italien, apparaisse publiquement dans un journal. Ce fan de foot, qui est d’ailleurs venu tacler gentiment son beau-père, en lui lisant une chronique de son cru dans une émission TV, possède un humour dont l’origine n’est pas difficile à retracer. Kiko, qui joue dans un club de foot, peste ce matin contre la sélection de Raymond Domenech pour le Mondial. Entre deux maniements de Nintendo DS, il nous raconte n’avoir appris que très récemment que sa mère avait été enlevée.Guy Carlier s’en est allé dormir, il se lève chaque jour à 2 heures du matin pour sa chronique matinale sur Europe 1. Son épouse prend congé à son tour, elle est attendue sur le plateau de l’émission littéraire de France 5, Café Picouly. Plusieurs salons du livre lui ont déjà demandé de venir présenter ce bel ouvrage riche en illustrations et témoignages. Elle semble heureuse. On parle de son père, il existe de nouveau dans les médias le temps d’une commémoration. Il paraît qu’un square Frédéric Dard pourrait voir le jour à Paris et qu’une rose blanche va porter son nom, création d’un fan horticulteur. Et puis la jeune génération va le redécouvrir grâce à la collection Bouquins, qui publie l’intégrale des 175 San-Antonio. De quoi se regargariser l’œil avec des titres comme Vol au-dessus d’un lit de cocu, La pute enchantée, Alice au pays des merguez. «Ce livre, je l’ai écrit pour Antoine, affirme Joséphine.
Pour lui et pour tous ceux n’ont pas eu le suprême bonheur de connaître mon père et de vivre avec lui!»
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